numéro 250

N°250

La Force qui ravage tout[1] (extraits)

Par David Lescot

Extraits de la pièce La Force qui ravage tout, écrite, mise en scène et composée par David Lescot

[1][P. 22-23]
ANATOLE.–Mais qu’est-ce que ça nous dit ?
Qu’est-ce que ça nous raconte ?
Ce monde de convention
Cette reine de carnaval
J’ai détesté ça, j’ai détesté ça
C’est faux, tout est faux, tout est faux,
tout est faux
C’était fait pour distraire des aristos du XVIIe
Ça peut pas marcher sur nous, on est…
on est plus les mêmes
J’ai détesté ça, j’ai détesté ça
Ça nous parle pas, ça nous parle pas
J’ai détesté ça, j’ai détesté ça
Ça nous dit rien du monde
Ça nous dit rien d’aujourd’hui
Ça nous dit rien, mais ça le redit et
ça le redit, et ça le redit

IRIS.– Eh ben moi, ça m’a fait du bien de sortir un peu
de mon époque
Ça dit rien et ça le dit longtemps ? Ben oui,
c’est le principe du baroque
L’intrigue est nulle, sans intérêt ?
Comme nos vies, comme nos existences
Tu les trouves bien écrites nos vies ?
Tu trouves qu’elles ont du sens ?
Et pourtant ça nous empêche pas d’avoir
des émotions violentes
Comme des airs d’opéra, ou harmonieuses,
ou bouleversantes
Bien sûr, c’est inutile, c’est un caillou qui rutile
Ça tourne en rond, ça n’a pas de but,
c’est de la fumée, c’est des volutes
Ça sert à rien aux gens comme toi, faut aimer
le temps pour aimer ça

[P. 42-43]
ANTONIA.– Tu sais, Tobias
Je comprends pas trop ce qui se passe
Mais je crois que t’as déclenché une crise
En voulant me faire une surprise
J’étais pas préparée à ça
Ces tentations mirobolantes
Tout ce luxe en une seule fois
Alors tant pis si je suis gênante, mais
Fallait pas m’emmener à l’opéra
C’est trop différent
Du genre de vie qu’on menait avant
Et l’effet est trop violent, beaucoup trop
pour moi

J’ai avalé une liqueur
Qui a déréglé mes sens
J’ai respiré une vapeur
Qui a boosté ma conscience

Je peux pas revenir en arrière
À cette routine de misère
Notre commune existence
Cette drogue bien trop légère

Ils prennent quoi, les personnages
Qu’on a vus ce soir sur scène ?
À quoi ils tournent, à quoi ils marchent ?
Qu’est-ce qu’ils s’envoient dans les veines

Pour se comporter comme des dingues
Possédés par leurs sentiments ?
Qu’est-ce qu’il y a dans leur seringue ?
Qu’est-ce qu’ils envoient dans leur sang ?

J’ai pareil dans le mien, j’en suis sûre
Je suis en empathie, je les comprends
Regarde, je suis devenue une blessure
Je me déverse comme un torrent

Je suis une souveraine dans un palais
Je fais vœu de solitude
Et brusquement l’instant d’après
Mon cœur prend feu et je me dénude

Mes conseillers sont aux abois
Mon règne expire sous mes caprices
Qui a le pouvoir ? L’amour ou moi ?
J’ai des problèmes d’impératrice

BOOZ, AMBROISE et LILITH.– Fallait pas l’emmener à l’opéra
Fallait pas l’emmener à l’opéra

ANTONIA.– Ouf… En tout cas, moi, ça va mieux
Je me suis libérée d’un poids
C’est efficace, l’opéra

Notes

[1] Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2023. Avec l’aimable autorisation des Solitaires intempestifs.


Pour citer cet article

David Lescot, « La Force qui ravage tout[1] (extraits) », Théâtre/Public, N° 250 [en ligne], URL : https://theatrepublic.fr/tp250-la-force-qui-ravage-tout1-extraits/

Où trouver la revue Théâtre/Public ?

À chaque numéro, une grande thématique esthétique, culturelle ou politique en lien avec la scène actuelle.

Acheter un numéro

Théâtre/Public

Consultez les archives de Théâtre/Public

Retrouvez les sommaires de tous les numéros et les articles bientôt numérisés !

Accéder à nos archives