En 2015, alors que je n’occupais aucune fonction, j’ai rédigé le texte que voici, sollicitée par une revue en ligne espagnole pour écrire sur la cité idéale :
« Tous les chemins et les routes d’une cité idéale mènent de manière plus ou moins directe en son centre. Là, il y aurait un “théâtre”, ouvert. C’est parce que la cité idéale veillerait à fabriquer jour après jour sa représentation du monde et à la partager, qu’elle pourrait être tout à la fois dans le doute et la conviction. Le “théâtre” idéal serait un grand espace, constitué de différentes salles avec des capacités très variables. Ce serait un lieu où peuvent se rassembler des foules, mais aussi où se dérouleraient des conversations intimes. Ce serait une fabrique à spectacles, associant étroitement création contemporaine et pratiques de spectateurs, réunissant les mouvements d’éducation populaire et les avant-gardes artistiques. Laboratoire de nouvelles formes aussi bien sur les plateaux que dans la salle, s’inscrivant en cela dans l’histoire du théâtre public profondément marqué par l’utopie émancipatrice de l’art et s’appuyant sur la force symbolique de sa programmation artistique. Ce “théâtre” se penserait sur deux axes, celui qui accompagne les artistes comme celui qui accompagne le public. Ce serait un lieu cohérent, articulé et libre, permettant d’expérimenter de nouvelles manières de créer comme de nouvelles manières d’aborder l’œuvre. Naturellement, la rencontre de tous les habitants de la cité idéale se ferait au sein de ce “théâtre” habité par eux, dont l’espace et les circulations intérieures seraient adaptés. Ce serait le cœur de la cité, le lieu du peuple et de sa convivialité.
Il y aurait des espaces dédiés à la création, secrets et relativement protégés de l’extérieur ; d’autres espaces en seraient contigus, ceux de l’école du regard, lieu de paroles, de transmission, lieu de travail, de confrontation tout à la fois. Artistes et spectateurs y circuleraient tour à tour, mêlés ou séparés, selon ce qu’ils y feraient. Il ne s’agirait pas de communier autour d’œuvres d’art, il s’agirait de fabriquer du commun dans la capacité de chaque habitant de cette cité idéale de partager avec les autres une expérience esthétique, d’en éprouver les divergences et de les affronter. La cité idéale serait forcément complexe, faite de frottements, de cultures différentes, de générations en conflits. Mais au cœur d’elle-même s’opérerait, à travers le “théâtre”, la possibilité de vivre ses contradictions dans la douceur, au-delà d’une violence assumée et dépassée. »
Depuis, ce texte, hors sol, hors d’âge, utopique, est ma boussole dans l’exercice du théâtre public. Suffisamment abstrait pour servir de cadre, suffisamment précis pour tracer une ligne, il me permet de ne pas m’égarer. Il m’autorise toutes les libres expériences que permet le théâtre public et dont jamais on n’abuse. Il faut juste être résolument prêt à penser et agir pour l’égalité des humains et ne jamais oublier que ce que l’institution nous donne, c’est du temps.
Pour citer cet article
Hortense Archambault, « La cité idéale », Théâtre/Public, N° 252 [en ligne], URL : https://theatrepublic.fr/tp252-la-cite-ideale/